Bonjour Julien. Tout d’abord, pourriez-vous nous donner la définition du design de services ?
JP Bien sûr. Quand on parle de « design », on pense tout d’abord à un objet. Plus précisément, on pense à l’acte de penser un objet, de le concevoir, avec un objectif : non seulement créer quelque chose d’innovant, ou beau, mais aussi quelque chose qui aide à habiter le monde. Par exemple, la fourchette nous aide à piquer notre viande, la signalétique nous aide à trouver notre chemin…
De la même manière, le design de services permet de penser et de façonner une prestation qui va modifier le quotidien de l’usager, avec un véritable impact sur son expérience.
Accor, Saint-Gobain ou encore Danone ont fait appel à vous. À quelles problématiques le design de services a-t-il répondu ?
JP Pour vous donner un exemple concret, il y a récemment eu un appel d’offres pour la concession de la restauration à la tour Eiffel. Ainsi, une entreprise de Facility Management nous a contactés avant d’y répondre, pour élaborer une offre complète : elle ne voulait pas simplement installer tel restaurant à tel endroit, mais plutôt inscrire la restauration dans l’expérience globale du visiteur de la tour Eiffel. Si l’on se met à la place du visiteur, on ne peut pas séparer l'expérience de la file d’attente, ou celle de la restauration, de l’expérience de la tour Eiffel.
Il en va de même pour une entreprise : l’expérience de l’accueil, de la cantine, de la propreté, ou de la qualité du café, sont indissociables. Pour l’usager, il s’agit d’une expérience globale de l’entreprise. Ce sont sur ces problématiques que travaillent les designers de services.
Quelles sont vos méthodes de travail ?
JP La plupart du temps, nous débutons par une phase de recherche, qui consiste à observer et interroger les parties prenantes pour poser des constats. Cette étape permet de soulever beaucoup de questions et, souvent, de changer de point de vue sur la problématique initiale. Comment se déroule le service aujourd’hui ? Quelles sont les attentes des parties prenantes ? Quelles sont les opportunités ratées ?
Nous pouvons ensuite lancer la phase d’innovation : nous imaginons et nous testons des solutions tangibles pour faire évoluer le service. Nous effectuons des tests, pour avoir des retours et faire avancer la problématique. On débute par des questions larges, sociologiques, psychologiques ou métaphysiques, pour revenir à des réponses tout à fait concrètes.
À quoi sert une étude par le design ?
JP Elle permet de comprendre l’expérience de l’usager et son ressenti. Ce sentiment n’a rien de rationnel : il faut faire appel à l’intégralité des sciences humaines pour le comprendre. Ce que chacun perçoit de son expérience est orienté par ses motivations, sa culture, ses attentes, ses biais psychologiques…
Les méthodes du design permettent de comprendre pourquoi l’usager agit de cette manière, mais aussi ce qui influence son jugement. C’est ce qui permet donc de construire une offre de services répondant à la demande. À la fois la demande clairement formulée par l’usager, mais aussi celle qui n’est pas dite, voire inconsciente.
Par exemple, comment peut-on aborder l’accueil avec la méthode du design de services ?
JP L’usager final est celui qui passe par l’accueil chaque jour, y va pour un rendez-vous, mais c’est aussi le livreur qui vient déposer un colis.
La première chose à faire, c’est de passer une journée assis dans l’accueil pour voir tout ce qui s’y passe !
Ainsi, on peut voir que l’accueil est un lieu de conversation, d’échanges… d’un point de vue sociologique, c’est une interaction sociale qui crée le sentiment d’être bienvenu, reconnu, de se sentir un peu chez soi.
Une fois cela compris, il est évident que l’accueil ne doit pas servir uniquement à valoriser l’entreprise. Il faut aussi donner au visiteur le sentiment qu’il a toute sa place ici, pour que les interactions soient les meilleures possibles !
Les services rendus par les métiers du Facility Management vont donc bien au-delà de leurs missions premières...
JP Tout à fait ! En pensant qu’un agent de ménage n’est là que pour passer le balai, on ne réfléchit pas à la valeur pourtant apportée à l’entreprise. La seule question devient celle du coût de la prestation « passer le balai ». Il n’y a aucun enrichissement mutuel, aucune création de valeur…
D’ailleurs, la plupart des entreprises veulent que le ménage soit fait en dehors des heures de bureau : on cache le ménage, mais pourquoi ? En tant que designer, ce serait passionnant de travailler sur cette question !
Pour changer d’optique, il faudrait donc d’abord arrêter de se concentrer sur l’acte technique, mais plutôt sur le sens ?
JP Exactement. Si vous dites à l’agent de ménage qu’il faut passer le balai tous les jours et la serpillière le vendredi, il le fera. S’il pleut le mardi et que les couloirs sont pleins de boue, ce sera le problème du donneur d’ordre !
En revanche, si vous lui dites qu’il faut que l’usager puisse trouver tous les jours des bureaux propres, les perspectives seront différentes. La qualité du service rendu sera enrichie, l’œuvrant aura plus d’autonomie… et la serpillière sera passée le jour où il pleut, même si ce n’était pas prévu au planning !
Finalement, il faut remettre l’humain au cœur du processus. Si les couloirs sont sales, les usagers se plaignent au service de l’environnement de travail, qui se plaint auprès de son prestataire, qui se plaint auprès de la femme de ménage : ce n’est satisfaisant pour personne ! Quelle serait la relation directe entre l’usager et l’œuvrant, si on faisait en sorte qu’elle existe ? C’est un autre sujet que le design de services pourrait questionner.
Finalement, comment réinventer ces métiers ?
JP Il faut tout d’abord changer de regard sur les métiers du Facility Management, et réhumaniser des services devenus uniquement techniques.
On ne peut pas réfléchir à la notion de bien-être au travail sans impliquer ceux qui gèrent leurs locaux ! Il faut donner aux œuvrants un sentiment de fierté, d’appartenance, de responsabilité.
Pour cela, il faut aussi partager ce que l’on veut accomplir tous ensemble, retrouver la confiance, et sortir d’une logique utilitariste. Si ce n’est ni par conviction, ni par humanisme, il faut le faire parce que cela ne crée de la valeur pour personne.
Il faut se poser les bonnes questions : qu’est-ce qui rend l’hôte d’accueil fier de son travail ? Qu’est-ce qui apporte à l’agent d’entretien, de maintenance ou de sécurité le sentiment de satisfaction d’une journée accomplie ? Il faut prendre conscience que cette personne est là pour améliorer l’expérience de l’usager.
Est-ce plutôt à l’entreprise ou à son prestataire FM de lancer une étude par le design ?
JP Les deux peuvent en être à l’origine, mais l’idéal, c’est qu’ils la lancent ensemble. Ils doivent co-construire leur relation, au service de l’entreprise et des bénéficiaires finaux de leurs services.
🔎 Choisir le bon niveau de délégation du Facility Management en infographie !
Un design de services efficace nécessite donc de bien comprendre tous les métiers impliqués, puis de savoir s’interroger et innover pour répondre à toutes les attentes… et finalement, apporter une réelle valeur ajoutée à tous. Et c’est l’un des piliers du Facility Management !