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Les Ehpad en 2019 : la crise existentielle

Aujourd’hui, les Ehpad accueillent plus de 700 000 Résidents et ce nombre ne va cesser de croître. Au-delà de cet enjeu démographique, les Ehpad devront répondre, demain, à des défis majeurs : déficit d’image, contexte budgétaire tendu, normalisation croissante, difficultés de recrutement... Dans ce contexte, comment préserver la qualité de la prise en charge des personnes dépendantes ? Comment préserver la confiance des Résidents, de leur famille et des professionnels qui les entourent ?

Remis à la ministre de la Santé et des Solidarités fin mars, à l’issue d’une large concertation, le rapport de Dominique Libault « Grand âge, le temps d’agir » met d’abord l’accent sur la nécessité de construire des réponses dignes aux enjeux du grand âge. La France vieillit, mais le défi de l’avancée en âge est encore devant nous. En 2040, 14,6 % des Français auront 75 ans ou plus, soit une hausse de 5,5 points en 25 ans. La France devrait compter environ 20 000 personnes âgées en perte d’autonomie de plus chaque année d’ici à 2030. Entre 2030 et 2040, ce rythme s’accélérerait avec une hausse annuelle moyenne de l’ordre de 40 000.

« La France fait donc face à une double exigence : affronter la réalité démographique de la hausse du nombre de personnes âgées dépendantes, qui outre un effort financier nécessite de faire évoluer le regard sur le grand âge, mais également faire évoluer l’offre proposée, le modèle actuel semblant à bout de souffle », souligne Dominique Libault.

Pour répondre à ce défi, les Ehpad sont aujourd’hui face à une crise existentielle, confrontés à un déficit d’image tout en devant répondre à des normes croissantes. Depuis dix ans, le nombre d’Ehpad a fortement augmenté : en 2017, la France comptait près de 590 000 lits contre 500 000 en 2009. Les effectifs se sont accrus avec un taux d’encadrement qui est passé de 57 équivalents temps plein (ETP) en 2007 à 63 ETP en 2015 pour 100 Résidents. « Les progrès du secteur pour fournir au quotidien des services de qualité ont été particulièrement importants au cours des dernières années dans l’ensemble de ces établissements », note aussi la députée Annie Vidal, dans son rapport parlementaire1 de juillet 2018.

De même, selon l’enquête Bientraitance réalisée en 2015 par l’Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux (Anesm), 57 % des présidents des conseils de vie sociale interrogés considèrent que la vie en Ehpad favorise toujours une bonne image de soi, contre 44 % en 2010 et 71 % qu’elle favorise toujours le respect des personnes, contre 60 % en 2010. Mais cette hausse quantitative et qualitative incontestable ne semble pas suffisante pour répondre à l’enjeu, en particulier parce que les Résidents sont de moins en moins autonomes.

 

UN AGE PLUS AVANCE, DES PATHOLOGIES PLUS LOURDES

Pis – et la presse s’en fait largement l’écho... –, le secteur des Ehpad est en crise. En janvier 2018 et jusqu’au printemps, plus de 30 % des salariés de ces établissements se sont mis en grève, avec le soutien de leur direction. « Travail dégradé, personnel épuisé, Résidents en danger », martelait l’un de leurs slogans. Cette situation de tension à géométrie variable, de plus en plus chronique, trouve son origine dans une multitude de facteurs. Parmi ces derniers : l’évolution des profils et de l’âge des Résidents.

Selon la Drees, la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques du ministère de la Santé et des Solidarités, l’âge moyen d’entrée en Ehpad était de 85,8 ans en 2015, deux ans de plus qu’en 2007. « Aujourd’hui, on dépiste et on prend mieux en charge les pathologies comme le diabète, les pathologies cardiaques, l’hypertension ou les cancers. On accueille donc en Ehpad des personnes bien plus âgées qu’avant, parfois même très âgées et atteintes de pathologies plus lourdes, détaille Nathalie Maubourguet, présidente de la Fédération française des associations de médecins coordonnateurs en Ehpad (Ffamco). Les personnes restent moins longtemps en Ehpad, mais dans un état de très forte dépendance qui complique le travail des soignants. Il y a quinze ans, on comptait 30 % de GIR 1 et 22, aujourd’hui on dépasse les 70 %. »

À la dépendance s’ajoutent des troubles du comportement liés aux maladies neurodégénératives, comme la maladie d’Alzheimer, mais aussi à l’arrivée de malades psychiatriques vieillissants que leurs établissements d’origine ne prennent plus en charge.

 

DU PERSONNEL EN SOUS-EFFECTIF

Pour faire face à ces complications, les moyens manquent et les équilibres financiers se révèlent difficiles à atteindre... « Des sous-effectifs considérables au regard des besoins médicaux des Résidents engendrent à la fois une dégradation des conditions de travail et une maltraitance institutionnelle », relève la députée Monique Iborra dans son rapport d’information de mars 2018 sur les Ehpad.

Quant à la réforme de la tarification, constate-t- elle, « elle a accru la complexité du cadre financier autour des contrats pluriannuels d’objectifs, de moyens et d’équations tarifaires. » Autre difficulté rencontrée par les Ehpad : une pression normative et réglementaire toujours plus forte. Architecture, hygiène et sécurité, droit du travail, qualité de service, restauration, tabagisme... Aucun item n’échappe au cadrage des pouvoirs publics.

 

DES METIERS MAL VALORISES

Ces conditions de travail attirent peu de candidats tout en épuisant mentalement et physiquement les équipes en poste. « Forcément, outre une charge de travail et des cadences plus fortes, on confie les cas les plus lourds aux plus expérimentés », remarque Nathalie Maubourguet. La fréquence des accidents du travail en Ehpad serait ainsi deux fois supérieure à la moyenne nationale, entraînant également un taux d’absentéisme élevé. Quant au personnel formé, il constitue une denrée rare. « Rien n’est fait pour valoriser ces métiers, déplore Nathalie Maubourguet. Les jeunes ne s’orientent plus vers ces filières. Quand le personnel manque, on fait aussi appel à des intérimaires mais ils coûtent plus cher et grèvent d’autant plus les budgets soins. Un vrai cercle vicieux.»

Contre vents et marées, les acteurs du secteur continuent malgré tout à se mobiliser au service des Résidents. Avec en retour, pour toute reconnaissance, des reportages télévisés à charge... « Pour nous, c’est terrible ! », assure Christophe Hézèque, directeur de La Gentilhommière à Boussy Saint-Antoine (Essonne). « Sans compter, ajoute Claudie Kulak, présidente de la Compagnie des aidants, que cette réputation erronée culpabilise encore plus les familles. Les reportages sur les maisons de retraite montrent toujours leur côté obscur, jamais tout ce qui se fait de bien. C’est fort dommage car les aidants que nous croisons se sentent complètement culpabilisés lorsqu’ils doivent prendre la décision d’y mettre leur proche. Pour moi, le maintien à domicile a ses limites.»

Alors comment, dans ces conditions, construire l’Ehpad de demain ? Pour changer le regard sur les Ehpad, les auteurs du rapport parlementaire de 2018 considèrent que ceux-ci doivent devenir des acteurs majeurs de la prise en charge des personnes âgées, au cœur du territoire. Avec deux idées fortes : d’une part, recentrer l’hébergement permanent sur l’accueil des personnes atteintes de troubles démentiels ; et d’autre part, faire de l’Ehpad une plate-forme diversifiée de services à la personne âgée, bien au-delà du seul hébergement.

Forts d’une connaissance approfondie des besoins des Ehpad et de son expérience du secteur médico-social, Elior Services sera aux côtés des Ehpad pour les accompagner dans ce changement de paradigme.