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Le décès en EHPAD : comment préparer ses équipes ? Comment réagir ?

S’il y a un lieu où la mort peut paraître naturelle, dans une société qui tente de l’ignorer, c’est bien la maison de retraite. Pourtant, le décès peut surprendre et peiner les pensionnaires, les proches, ainsi que les collaborateurs. Comment adoucir ce moment inéluctable ? Une psychologue témoigne.

Ce matin, l’hôtelière a toqué à la porte de la chambre 10, celle de madame Yvonne, comme elle l’appelle. Pas de réponse. A cet âge, on n’entend pas toujours bien. Elle est entrée. Dans la pénombre, nul mouvement. Bonjour, a-t-elle lancé, vous avez bien dormi ? Elle est allée à la fenêtre relever le store. Lorsqu’elle s’est retournée, le visage de la vieille dame était immobile, ses mains veineuses abandonnées sur le drap chiffonné. L’hôtelière a tout de suite compris. Son cœur a bondi. Elle appréhendait ce moment. Deux ans qu’elle travaillait en maison de retraite, sans avoir jamais encore croisé la mort. Elle est vite sortie de la chambre, prévenir l’infirmière…


La crainte de la mort n’épargne pas le personnel hôtelier

L’angoisse de mort existe chez tous les soignants, explique Claudine, psychologue dans un EHPAD (Etablissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) du Val-d’Oise depuis quinze ans. Elle est de fait encore plus présente en maison de retraite ou dans les services hospitaliers de soins palliatifs et d’oncologie. C’est d’ailleurs dans ces unités qu’on constate le plus fort taux de burn-out.

Cette angoisse n’épargne pas le personnel hôtelier, d’autant plus qu’il n’est souvent formé ni à la maladie, ni à la mort. Ces collaborateurs redoutent tous de découvrir, comme cette hôtelière, un résident décédé au petit matin. Ce cas de figure n’est heureusement pas si fréquent, rassure la thérapeute. En effet, explique-t-elle, la plupart du temps le décès est précédé de signes annonciateurs que le médecin coordonnateur connaît bien : dégradation physique, marqueurs médicaux, à la suite par exemple d’une prise de sang. Si cela n’a pas été fait auparavant, on met alors en place des directives anticipées. Il s’agit d’organiser un projet personnalisé d’accompagnement de la fin de vie en fonction des souhaits et besoins de la personne âgée et/ou de ses proches. Certains préfèrent partir à l’hôpital, d’autres finir leurs jours au sein de l’EHPAD. Dans cette seconde hypothèse, on privilégie le confort du résident, explique la psychologue. On s’assure qu’elle est bien hydratée, on lui administre les antalgiques nécessaires pour limiter autant que possible la douleur. Puis on laisse le temps accomplir son œuvre.


Une réunion hebdomadaire pour les soignants

Même si le personnel de l’EHPAD a été formé à la fin de vie, il n’est pas forcément prêt à l’accueillir, souligne la thérapeute. Certains aides-soignants peuvent refuser de procéder à la toilette mortuaire. D’autres peuvent s’attacher à un pensionnaire et être ainsi touchés personnellement de sa disparition, au point parfois de vouloir se rendre à ses obsèques.

Dans la maison de retraite où elle travaille, on permet ces divers comportements et on s’organise en conséquence, explique Claudine. Une réunion a lieu chaque semaine entre les infirmiers, les aides-soignants, le psychomotricien, les ergothérapeutes, le médecin coordonnateur. C’est au cours de ce moment d’échange, auquel la psychologue participe également, qu’on signale la dégradation éventuelle de l’état de santé d’un pensionnaire. C’est aussi l’occasion pour chacun d’exprimer son possible mal-être. En théorie ? Car en pratique, tout le monde n’est pas apte à en faire part dans un cadre collectif. La psychologue apporte quant à elle son éclairage sur le comportement d’un résident, une agressivité soudaine, l’expression d’une souffrance, d’une inquiétude, et se tient à disposition de qui souhaite évoquer ses difficultés, en privé.


Former les collaborateurs

Une formation est bienvenue, souligne Claudine. Elle a tout particulièrement apprécié celle qu’a dispensée un intervenant dans l’EHPAD où elle officie : il leur a inculqué des notions d’ethnopsychologie, passant en revue les rites mortuaires selon les religions. D’une culture à l’autre, la mort n’est pas accompagnée de la même manière, constate-t-elle. Elle est plus ou moins tabou, la famille plus ou moins présente. Le cas de figure le plus triste lui paraît être celui de la personne âgée, athée, sans famille, dont seul un tuteur prend soin.

Des formations sont aussi disponibles chez les prestataires extérieurs. Ainsi, chez Elior Services Santé, la formation des collaborateurs en EHPAD propose un groupe de parole dédié au décès des résidents.


L’organisation matérielle

Sur un plan matériel, tous les EHPAD ne sont pas organisés de la même manière pour gérer les décès. Dans celui de Claudine, une table réfrigérée est prévue pour accueillir le corps, dans une chambre fermée à clef. La lumière y est tamisée, des huiles essentielles sont diffusées, le défunt est vêtu de la manière qu’il a le cas échéant indiquée avant de s’éteindre, sa toilette est faite. Les pompes funèbres interviennent dans les deux ou trois jours. La levée du corps est effectuée dans une relative discrétion, car elle peut susciter des angoisses auprès des autres résidents, explique la psychologue.


Des groupes pour délier la parole des résidents et des proches

La psychologue a organisé l’an passé un groupe de parole avec les résidents, afin qu’ils puissent exprimer leurs souhaits : certains voulaient être informés du décès de leurs voisins, d’autres pas. Il avait été suggéré d’allumer une bougie, manière discrète de signifier la disparition de l’un d’eux. En général, on évite les annonces publiques. On identifie plutôt les personnes qui partageaient la même table, et on les prévient personnellement.

De même, des groupes de paroles peuvent être mis en place avec les proches des résidents pour identifier leurs désirs : veulent-ils par exemple être avertis immédiatement, à toute heure du jour ou de la nuit ? Ils peuvent aussi souhaiter passer la nuit auprès de lui. Un cas de figure idéal selon la thérapeute, mais qui n’est possible que dans le cadre d’une fin de vie anticipée.

Le décès en EHPAD est une question d’échéance, et non d’éventualité. En conséquence, on veillera à s’organiser à toutes les étapes :

  • Formation des collaborateurs, tant pratique que psychologique ;
  • Accompagnement collectif du stress des hôteliers et des soignants ;
  • Prise en charge des familles ;
  • Identification et communication avec les amis du défunt dans l’établissement.
     

Article proposé par Joëlle Martin, Expert-conseil en hôtellerie de santé et rédigé par Elisabeth Torrès pour Echo Silver